Il est
pourtant d’autres couleurs de pluie bien plus cruelles, celle des poussières tombées sur des visages
innocents dans l’empire du soleil levant il y a près de soixante ans qui a
changé le destin de milliers de familles et qui transportent encore aujourd’hui
cette « malédiction » provoquée par la folie des hommes. La leçon n’a
pas vraiment porté : une nouvelle fois victime de l’atome l’année
dernière…serions-nous des apprentis-sorciers qui jouons les savants fous …ou de
simples victimes d’un profit facile aveugle et criminel ?
Tu me parles aujourd’hui dans un temps qui n'a pas de barrières. La magie de la
découverte s’est envolée. Mais l’âme de tes mots me touche encore avec la même
intensité. Ta tristesse est la mienne, ton envie d’aller au-delà des limites
m’emporte moi aussi vers des frontières extensibles.
Dans un autre univers, j’aurais pu te
toucher, presque en filigrane,
Et toi en hologramme, tu m’aurais donné des
couleurs de ciel.
Parle encore, tes caresses
blessées, muettes et si douces …
Un cordon ombilical que même le temps et
les dispersions n’avaient pu briser.
Trente ans après, il pensait toujours à
elle avec la même souffrance.
Il n’avait pu jamais combler ce manque
immense.
Il se souvenait à peine de son visage,
l’eut-il reconnue s’il l’avait croisée ? Sans doute, non.
Au fur et à mesure les traits dessinés sur
la photo qu’il lui avait dérobée s’étaient effacés, laissant seulement des
zones plus claires ou plus sombres.
Puis, le feu s’y était mis et avait réduit
ces restes en poussière. Tout ce qu’il avait perdu dans l’incendie, ses
meubles, ses livres, ses collections, tout cela n’était rien à coté de cet
ultime vestige d’elle, la seule chose qu’elle lui avait laissée.
Elle n’avait
jamais voulu lui écrire, elle ne voulait pas laisser de traces. Elle s’était
contentée de l’aimer en chair et en os, intensément, follement. Elle ne voulait
que prêter son corps mais lui voulait apprivoiser son esprit. Elle restait sur
ses gardes, elle savait que l’attrait de l’esprit est le plus dur à détourner,
elle ne voulait pas s’engager dans cette voie. Pas encore. Pas maintenant. Ou
peut-être, pas avec lui.
Elle le sentait entier, follement épris.
Cela lui avait fait peur. Autour d’elle, tant de proches s’étaient détruits au
feu de la passion. Ce ne serait pas son cas. Elle donnerait parcimonieusement
des bribes d’affection sans trop y croire.
Elle était partie un jour de
septembre et l’automne avait perdu ses couleurs. Les feuilles mordorées qui
faisaient de la campagne un spectacle si beau étaient devenues noir et blanc.
Elle avait téléphoné à un moment où elle était sûre qu’il n’était pas chez lui. Elle ne
voulait pas lui parler pour lui éviter une longue agonie. Elle avait enregistré
son message télégraphique sur le répondeur : « Je pars, je t’aime
bien, nous sommes trop différents, je ne peux rien faire pour toi. Oublie-moi. »
Rien n’avait laisser présager une fin si
tragiquement désespérée pour lui. Comme si la mort avait fauché toute son
énergie de vivre. Il avait perdu son fluide de vie, son soleil.
Il retrouva son
ancienne routine, celle d’avant elle. En espérant un miracle qui ferait tourner
les aiguilles du temps à l’envers.
Rien n’avait pu cautériser cette plaie
ouverte et pourtant invisible. Sa faculté de souffrir s’était focalisée sur
cette absence et les épreuves qu’il avait rencontrées par la suite lui étaient
presque étrangères, indifférentes.
Il avait voulu s’échapper de ce carcan qui
ne lui permettait pas de voir la réalité sous un angle objectif, dénigrant ses
rencontres de passage et entretenant sa solitude comme un feu assoupi qu’il
faut réveiller. Il se forçait …
Alors il parcourut le monde dès que son
emploi du temps lui donnait quelque disponibilité, il n’avait pas de famille
hormis la famille virtuelle qu’il aurait voulu constituer avec elle.
Il s’installa sur le divan du psy, lui
raconta ses déboires face à ce silence angoissant ; il étudia la guérison des
blessures intérieures avec Daniel Maurin ; il explora les couloirs de la sophrologie ;
il se plongea sans angoisse dans le monde flouté de l’hypnose et puis, un jour,
il découvrit le chamanisme: il fallait qu’il aille au cœur de cette
culture.
Il partit pour l’Amazonie, explora plusieurs centres de
chamanisme pour finalement s’installer pour un temps in déterminé à Espiritu
…Il parla avec le chamane, longuement, sous le couvert d’une traductrice,
presque une enfant, il parla de ses trente ans de vie au ralenti, de cet oubli
qu’il n’était jamais parvenu à atteindre.
Quand je l’ai rencontré, il était toujours
là-bas, ses compagnons du shamanic tour avaient depuis longtemps quitté le
centre, il commençait à peine à se remettre de ses fissures, il avait demandé
un congé sans solde, à durée indéterminée. Ses employeurs de l’Europe lointaine
n’avaient même pas répondu. Il était prêt à puiser dans ses économies jusqu’au
dernier euro.
Il l’avait entr’aperçue lors d’une
cérémonie de l’ayahuesca. Elvira pour la première fois depuis trente ans lui
avait parlé, il pouvait presque la toucher, il n’en avait nulle envie, de peur
qu’elle s’échappât, il avait enfin osé prononcer son nom
« Bonjour Heinz »
« Bonjour Elvira »
« Tu es venu si loin pour me retrouver
et je suis là
Il faut que tu fasses ton deuil de moi
Je vis dans un autre monde
Je n’ai jamais pu admettre d’être engoncée
dans le tien »
« Pourquoi ne m’as-tu parlé alors ?
J’aurais compris »
« Non, tu ne me voyais pas telle que
j’étais
J’étais incapable de m’attacher à un homme
J’avais trop souffert
Je n’en ai jamais parlé à personne
Si tu m’avais vue telle que j’étais,
dévastée
Tu n’aurais plus pu m’aimer
J’aurais été une souffrance supplémentaire,
bien plus que celle que tu as ressentie
Lorsque j’ai disparu sans prévenir ».
Alors Elvira sourit et lui tendit la main,
il la serra sans frémir, sans verser une larme et pour la première fois, il
éprouva en pensant à elle, une douce sérénité.
Sous l’effet de la drogue, dans la cabane
perdue au milieu de la jungle, cette nuit-là, il dormit sans rêve ni cauchemar.
Même quand
tu me largues avec tes phrases-bateau qui crépitent
Et font mal.
Même si je
ne veux pas le reconnaître - on a tout à perdre à se montrer vulnérable face à
l’ennemi avéré.
Le hic,
c’est que j’arrive pas à te donner les traits d’un ennemi, à garder les
distances unilatéralement définies ; notre passé de trêve est encore trop présent.
J’espère
que tes yeux ne tomberont sur ces mots à toi maladroitement adressés
Je te
soupçonne de m’observer furtivement dans ton coin d’ombre. Un vestige de paranoïa,
sans doute !
Mais je
sais que tu connais mon point de vue et les mots ne peuvent rien ajouter à nos
certitudes divergentes.
Et puis
tant pis !
Si
l’impulsion de te parler se la joue métronome, je suis prête à affronter les
roches vives
À compter
les égratignures, à sentir ton souffle froid. Le cycle des relations connaît
aussi ses variations saisonnières.
Suivre leur
fil permet, paraît-il de voir l’évolution de la pensée dans le temps, l’espace
et les remous de l’âme.
Mais
évolution, révolution, involution …n’est-ce pas un peu la même chose ?
Que
t’importe de savoir que j’ai écrit ça au printemps de ma vie ou au printemps
tout court ou un autre moment plus mature !
Le degré de
fraîcheur de mon visage t’apportera-t-elle une connaissance plus précise de moi ?
Je ne pense
pas.
D’abord les
pensées si elles explosent en-dehors de nos petites personnes, passent par le
regard.
De tous les
étrangetés dont notre corps est plus ou moins harmonieusement constitué, le
regard à travers le temps garde une égale faculté de s’émouvoir, de cligner les
yeux face à la lumière, de gémir dans les grandes brumes matinales, de sourire
à tous vents, de caresser avec ferveur la manifestation de la belle jeunesse.
Les racines
de cette pensée que j’essaie maladroitement d’exprimer, quand ont-elles trouvé
leurs sources ?
Hier,
aujourd’hui, autrefois ou une prémonition de demain ?
Pour semer
des petits repères sur ma déjà longue route, j’écris les mois et années au
creux de mes textes, histoire d’enfoncer des clous dans un calendrier
imaginaire.
Souvent,
par après, je me découvre une dyscalculie dateuse orientée plus vers le futur
que vers le passé.
Est-ce
l’aveu inconscient d’une aspiration à l’uniformité ? Ne pas avoir de
jalons pour rythmer son parcours, n’avoir que cette légèreté qui fait de chaque
instant un moment unique en lui-même au présent éternel ?
Tout
d’abord, j’ai remarqué des fils défaits qui traînaient ça et là, des petits
trous minuscules qui formaient des petits yeux multiples dans le tissu.
La machine
avait dû accrocher quelques fils mais quand les trous se multiplièrent quelle
que soit la nature de la matière, j’ai commencé mon inspection.
J’avais laissé
sous le lit un sac en toile avec des vêtements que j’avais ramenés de mon
ancienne chambre. Je me suis rendu compte que le sac était lui aussi troué et
en l’ouvrant j’ai trouvé des espèces de cocons disséminés ça et là. Parfois un
papillon blanc sortait du lot et même mon chat léthargique ne daignait pas lui
jeter un œil d’ailleurs à moitié ouvert.
Si j’avais
pu collecter la matière constituée par les trous, j’aurais pu lancer une série
de confettis multicolores mais ces confettis étaient invisibles voire
inexistants ou dans une autre dimension de la physique !
C’est alors
qu’ont commencé les cauchemars et leurs interférences avec ma réalité.
Je rêvais
que d’immenses papillons blancs ou noirs selon l’éclairage de mes songes
venaient me picorer le visage avec leurs antennes gluantes. Je me réveillais en
nage et j’allumais la lumière en m’armant de la tapette à mouche mais je ne
voyais aucune poussière d’ailes.
Puis
j’entendis des petits grignotements, ça ne pouvait pas être de souris car mon
chat malgré sa fatigue chronique avait gardé quelque gène de chasseur, je
l’avais déjà vu à l’œuvre déguisé en bourreau jouant avec une boule de pluches
qui se délestait au fur et à mesure de ses coups de pattes.
Le combat
était inégal et mes alliés (même le chat) inexistants.
Je tenais
pourtant à ces lambeaux qui un jour m’avaient servis de fringues, allais-je devoir
courir nu faute de fripes convenables ?
Tout ce que j’achetais finissait par être contaminé, je voyais des lignes
frêles lacérer mon canapé, les essuies, les draps servaient aussi à la
confection de dentelles en formation.
Je me rendis
chez un droguiste pour avoir un conseil judicieux mais les renseignements que
je collectais ça et là étaient contradictoires : les monstres ne
s’attaquaient qu’aux fibres naturelles, l’expérience me disait que ce n’était
pas leur domaine exclusif, j’achetais des dizaines de bombes d’insecticides
dont je parais les vêtements atteints ou susceptibles de l’ être par cette
érosion et je les enfermais dans des sacs étanches qui bientôt envahirent
presque tout l’espace libre de mon petit appartement ; j’entreposais alors
les paquets jusqu’au plafond dans ma salle de bain réduite au minimum, il me
restait à peine de quoi prendre une douche rapide en grelottant en pensant aux
compagnons indésirables qui, je croyais, continuaient à veiller sur mes ablutions s’ils avaient pu résister
aux produits chimiques.
Je ne suis
pas loin de la névrose obsessionnelle, d’une paranoïa papillonesque.
Je guette
avec effroi les bruissements d’ailes à l’orée de la nuit, je calfeutre les
fenêtres, en sachant bien que si l’ennemi est déjà sur les lieux, la chaleur ne
fera que raviver ses ardeurs.
A l’heure
où, désespéré je vous envoie cet ultime SOS, j’imagine que même les feuilles de
ma lettre pourraient elles-aussi faire l’objet d’un repas dévastateur
…j’entends presque déjà les bruissements de quelque insecte invisible qui
attend l’ombre pour se livrer à ses horribles méfaits...