mercredi 25 avril 2012

La guerra di Piero




Un jour, on entend une chanson qu’on aimait instinctivement sans jamais l’avoir comprise.
Un jour, on ne sait pourquoi, on se demande pourquoi cette chanson nous touche, alors, presque pour la première fois, on l’écoute. Avec une attention nouvelle.
On découvre la richesse des paroles, la personnalité de chanteur, la particularité de sa voix
On a envie d’en savoir plus. Parfois il est trop tard, le chanteur a déjà disparu, on le regrette, on regrette ces moment perdus à ne pas l’avoir connu, écouté, apprécié.

 
Là où tu t’es arrêté
Un jour de trouble
Les coquelicots ont poussé
Saisons mélangées
Ciels sombres sous horizon bouché
Des voix se sont mêlées à ta plainte
Voix étranges
Voix étrangères
Elles aussi croyaient en leur victoire
Elles aussi voulaient voler au-delà des frontières
Élargir leur espace
Servir leur drapeau
Haranguées par des épouvantails
À l’uniforme rutilant

Un jour tu as croisé ton frère
Et tu ne l’as pas reconnu
Et lui ne t’a pas reconnu
Au lieu de tomber dans les bras
Vous êtes tombés côte à côte
Dans un cri de douleur unifiée
Coupables de mort réciproque

Ici seuls les coquelicots poussent encore
Et quand part la belle saison
Ils laissent des traînées sombres
Pour rappeler l’ineptie
Des hommes …
 Saravati


J’ai trouvé plusieurs traductions de cette chanson
Je vous donne ma version personnelle, si elle perd un peu en poésie, elle se rapproche assez bien du sens initial
  
Tu reposes enseveli dans un champ de blé
Ni la rose ni la tulipe
ne te veillent à l'ombre des fossés
Mais mille coquelicots rouges.

Le long des berges de mon torrent
je veux que descendent les brochets d’argent
Et non plus les cadavres des soldats
Emportés par le courant.

Ainsi pensais-tu et c’était l’hiver
et comme les autres vers l’enfer
tu t’en vas triste comme il se doit
Le vent te crache la neige sur le visage

Arrête-toi, Pierre, arrête-toi maintenant
Laisse le vent passer un peu au-dessus de toi
Il t’apporte la voix des morts au combat
Ceux qui donnèrent leur vie en échange d’une croix

Mais tu ne l'entendis pas et le temps passait
Avec les saisons à  pas de java
Et un beau jour de printemps
Tu franchis à la frontière

Et tandis que tu marchais l’âme en peine
Tu vis un homme au fond de la vallée
Il avait une humeur identique à la tienne
mais l’uniforme d’une autre couleur

Tire-lui dessus Piero, tire-lui dessus maintenant
et après un coup, tire-lui dessus encore
jusqu’à ce que tu le vois
Tomber à terre recouvert de son sang

Et si tu vises son front ou son cœur
il n’aura que le temps de mourir
mais moi j’aurai le temps de voir
De voir les yeux d’un homme qui meurt

Et pendant que tu lui accordes ce répit
il se retourne, te voit et a peur
Et s'emparant de son arme
Ne te rend pas la politesse.

Tu tombas à terre sans un cri
et tu t’aperçus en un seul instant
que tu n’aurais pas le temps
de demander pardon pour tous tes péchés

Tu tombas à terre sans un cri
et tu t’aperçus en un seul instant
que ta vie se terminait ce jour-là
et qu’il n’y aurait pas de retour

Crever en mai, ma Ninon
Il faut tellement, vraiment trop de courage
ma belle Ninon, droit en enfer
j’aurais préféré y aller en hiver

Et tandis que le blé t’écoutait
tu serrais dans les mains ton fusil
dans la bouche tu serrais des mots
trop glacés pour fondre au soleil

Tu reposes enseveli dans un champ de blé
Ni la rose ni la tulipe
ne te veillent à l'ombre des fossés
Mais mille coquelicots rouges.



Fabrizio De André est un auteur-compositeur-interprète italien, né à Gênes en 1940  et décédé à Milan en 1999. Personnage discret et un peu réticent vis-à-vis des représentations publiques.
Très jeune, il manifeste un penchant pour la poésie, la musique et le théâtre. Il joue de la guitare et du violon lors de concerts de jazz et de folk.
C’est sa chanson Canzone di Marinella en 1960 interprétée par Mina qui orientera son choix de carrière : il abandonne ses études de droit et se consacre à la musique
Ses premières ballades sont inspirées par Georges Brassens et de la musique médiévale des troubadours.  Il a adapté et interprété quelques chansons dont Le Passanti. Il est aussi influencé par Bob Dylan et Léonard Cohen.
Durant sa carrière, de 1958 à 1997, Fabrizio De André (surnommé Faber par ses amis) enregistra treize disques où se côtoie la poésie et une vision fine de la condition humaine. Il y chante en italien aussi en dialecte.
De André explore l'histoire et l'âme de l'individu, raconte les contradictions, les passions, les échecs, soulève des problèmes sociaux, donne une dimension politique à ses chansons sans qu’elle soit vraiment explicite. Il chante l’amour, la nostalgie (Canzone di Marinella)  mais aussi les exclus, les rebelles … Il dénonce la guerre (Andrea et La guerra di Piero), ou le massacre des indiens d'Amérique (Fiume Sand Creek) ; il s’arrête auprès d’une prostituée  (Via del Campo, Bocca di Rosa), ou un « larron »sur la croix (Il testamento di Tito)…
C’est un chanteur apprécié énormément pour son talent et ses textes "engagés ». Plus de dix mille personnes ont assisté à ses funérailles.
Son sens littéraire et poétique est tel qu’aujourd’hui, ses textes sont inscrits dans les anthologies scolaires delittérature italienne. Il est considéré comme un grand poète de langue italienne des dernières décennies. Peu après sa disparition, son nom a été donné à de nombreuses rues et écoles d’Italie.
Le réalisateur Wim Wenders est un admirateur inconditionnel de De André.


Sources probables d'inspiration de la Guerra di Piero

La vision de la mort en direct de Piero, son corps qui se mêle à la terre évoquent le sommeil du dormeur du val d’Arthur Rimbaud. Le rouge au flanc du dormeur renvoie au rouge multiplié des coquelicots qui veillent sur Piero.

LE DORMEUR DU VAL
C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Arthur Rimbaud


On peut penser aussi que De André s’est inspiré d’une chanson de Gustave Nadaud (chansonnier et poète français, né à Roubaix (1830-1893) Le soldat de Marsala  qui fait référence à l'expédition des Mille lancée par Garibaldi en Sicile.
D’autant plus que Georges Brassens que De André admirait beaucoup a mis en musique et chanté plusieurs chansons de Nadaud.
·           Voici le début de ce texte de Nadaud :

LE SOLDAT DE MARSALA
Nous étions au nombre de mille,
Venus d’Italie et d’ailleurs,
Garibaldi, dans la Sicile,
Nous conduisait en tirailleurs :
J’étais un jour seul dans la plaine
Quand je trouve en face de moi
Un soldat de vingt ans à peine
Qui portait les couleurs du roi.
Je vois son fusil se rabattre :
C’était son droit ; j’arme le mien,
Il fait quatre pas, j’en fais quatre,
Il vise mal, je vise bien.

Ah ! Que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là ;
Qu’on verse dans mon verre
Le vin de Marsala !



dimanche 15 avril 2012

Les draps fripés





Ma main s’étire
Effleure le drap fripé
Là où je devais trouver ta main
Et le corps y attaché

La place est froide
Le corps absent
Le vide
Palpable

Il y a eu tant de nuits
D’absence
Et de retrouvailles
Tant d’espace ouvert
Puis refermé
Sur nos corps alanguis


Tant de promesses
De cris
De pleurs
Réconciliations fragiles
Serments ânonnés
Jusqu’à l’hébétude

Tant de mensonges
Dans l’expression
Passion-déception
Tant d’au-revoir fuyants
Qui crachaient
L’adieu
Irréversible

Tous ces gestes vains
Ces réflexes acculés
Ces pensées addictives
Continuent
De leurrer
L’esprit malade
Sevré d’amour

La main dans son sommeil
Tourne encore
En rond
En rond
sans faiblir
se balance
en autiste
Sur le drap
Plus fripé
Encore
 



lundi 9 avril 2012

Transfuge


J’ai trouvé sous mon lit une carte
Une carte à jouer
Du moins en apparence
Elle présentait deux pieds nus et leurs points de réflexologie
Les correspondances avec les organes...

C’est fou ce qu’un pied peut parler
Et en plus en couleurs
Je me suis rendu compte à travers l’image du pied
Ce qu’un corps pouvait comporter d’organes
Susceptibles de se déglinguer

Alors s’il faut suivre le mode d’emploi, je vais devoir passer beaucoup de temps en auto-massages des parties charnues de mes pieds.
Car nul organe n’est parfait
Le check up est impressionnant dans sa liste de turbulences
Et si je me trompe
Si je masse dans le sens inverse des aiguilles d’une montre
Les rares parties qui ne seraient pas (encore) déficientes ?
Que se passera-t-il ?

Maintenant dès que je pose le pied sur le sol
Je m’inquiète
Aurais-je réveillé un démon qui somnole
En le fracassant de mon poids
Les médecines parallèles
Ne sont pas meilleures que les autres
Elles aussi pratiquent à l’extrême la culpabilisation des patients

Bon aujourd’hui je crois que je vais rester couché
À regarder le plafond
Et les pieds en stand-by, grève à l’appui
Il paraît que nous avons tous une araignée dans le plafond
La mienne se cache bien jusqu’à présent
Mais je la soupçonne de guetter mon sommeil
Pour se livrer à ses acrobaties.


mardi 3 avril 2012

Ecrire


En rencontrant des écrivains, en vrai ou virtuel, en jouant à mon tour du clavier et ou alignant frénétiquement mes petites pattes de mouches sur du papier de récupération (des mots) je me pose toutes sortes de questions existentielles sur la nécessité d’écrire.

J’ai un sentiment mitigé sur ceux qui en font leur métier, peut-on vivre une vraie vie en se retranchant du monde pour mieux l’observer ou mieux se regarder le nombril ?

Et d’égrener le chapelet d’obligations qui suivront une reconnaissance publique : séances de dédicaces, réponses polies aux commentaires d’admirateurs ou détracteurs, participation à tous salons du livre (même des glauques, il en existe) sourire de circonstances, intervieuws, photos cheese, invitation à des colloques, séances de lecture, réponses à des questions chiantes sur l’avenir de la littérature ou sur leurs principales sources d’inspiration qu’on ne peut dévoiler sans se trahir un peu, égalité d’humeur même quand on a dû répéter cent fois les mêmes arguments devenus bateaux …attente des chèques des éditeurs, attente des retours de courriers aux maisons d’édition, exigences des éditeurs par rapport aux résultants antérieurs
Bref, une vie pleine de liberté …
Lever au lever du jour ou avant quand c’est l’hiver, séances d’écriture forcée, retouche des pages, restructuration des idées.

Et toujours garder sa bonne humeur car un écrivain célèbre doit aussi être un écrivain heureux de l’être, du moins en apparence !