vendredi 25 mai 2012

Mythique invasion ?



Tout d’abord, j’ai remarqué des fils défaits qui traînaient ça et là, des petits trous minuscules qui formaient des petits yeux multiples dans le tissu.
La machine avait dû accrocher quelques fils mais quand les trous se multiplièrent quelle que soit la nature de la matière, j’ai commencé mon inspection.

J’avais laissé sous le lit un sac en toile avec des vêtements que j’avais ramenés de mon ancienne chambre. Je me suis rendu compte que le sac était lui aussi troué et en l’ouvrant j’ai trouvé des espèces de cocons disséminés ça et là. Parfois un papillon blanc sortait du lot et même mon chat léthargique ne daignait pas lui jeter un œil d’ailleurs à moitié ouvert.
Si j’avais pu collecter la matière constituée par les trous, j’aurais pu lancer une série de confettis multicolores mais ces confettis étaient invisibles voire inexistants ou dans une autre dimension de la physique !
C’est alors qu’ont commencé les cauchemars et leurs interférences avec ma réalité.

Je rêvais que d’immenses papillons blancs ou noirs selon l’éclairage de mes songes venaient me picorer le visage avec leurs antennes gluantes. Je me réveillais en nage et j’allumais la lumière en m’armant de la tapette à mouche mais je ne voyais aucune poussière d’ailes.

Puis j’entendis des petits grignotements, ça ne pouvait pas être de souris car mon chat malgré sa fatigue chronique avait gardé quelque gène de chasseur, je l’avais déjà vu à l’œuvre déguisé en bourreau jouant avec une boule de pluches qui se délestait au fur et à mesure de ses coups de pattes.
Le combat était inégal et mes alliés (même le chat) inexistants.

Je tenais pourtant à ces lambeaux qui un jour m’avaient servis de fringues, allais-je devoir courir nu faute de fripes convenables ?
 
Tout ce que j’achetais finissait par être contaminé, je voyais des lignes frêles lacérer mon canapé, les essuies, les draps servaient aussi à la confection de dentelles en formation.

Je me rendis chez un droguiste pour avoir un conseil judicieux mais les renseignements que je collectais ça et là étaient contradictoires : les monstres ne s’attaquaient qu’aux fibres naturelles, l’expérience me disait que ce n’était pas leur domaine exclusif, j’achetais des dizaines de bombes d’insecticides dont je parais les vêtements atteints ou susceptibles de l’ être par cette érosion et je les enfermais dans des sacs étanches qui bientôt envahirent presque tout l’espace libre de mon petit appartement ; j’entreposais alors les paquets jusqu’au plafond dans ma salle de bain réduite au minimum, il me restait à peine de quoi prendre une douche rapide en grelottant en pensant aux compagnons indésirables qui, je croyais, continuaient à veiller  sur mes ablutions s’ils avaient pu résister aux produits chimiques.

Je ne suis pas loin de la névrose obsessionnelle, d’une paranoïa papillonesque.
Je guette avec effroi les bruissements d’ailes à l’orée de la nuit, je calfeutre les fenêtres, en sachant bien que si l’ennemi est déjà sur les lieux, la chaleur ne fera que raviver ses ardeurs.
A l’heure où, désespéré je vous envoie cet ultime SOS, j’imagine que même les feuilles de ma lettre pourraient elles-aussi faire l’objet d’un repas dévastateur …j’entends presque déjà les bruissements de quelque insecte invisible qui attend l’ombre pour se livrer à ses horribles méfaits...




lundi 21 mai 2012

L'homme qui écrit


Tous les jours, presqu’à la même heure, je rencontre un homme, toujours le même. J’en rencontre d’autres aussi mais ceux-là ne m’intéressent pas, c’est lui que je regarde. Il n’a d’attention pour personne, le nez constamment fourré dans une pile d’A4 qu’il triture avec énergie avant de lancer des signes nerveux sur la feuille blanche, pas nécessairement la première, sur une feuille blanche ou à moitié blanche. Alors, le monde qui n’existait déjà pas pour lui cesse encore plus d’exister. Il entre dans une espèce de transe dont rien ne semble pouvoir le faire sortir.

Oh, ce n’est pas moi qui la première ai compris son manège, mes petites voisines, collégiennes délurées, assises près de moi, parlaient du maniaque au stylo avec force gestes et mimiques.  Alors j’ai détourné la tête pour découvrir où était l’objet de leur attention, c’est ainsi que je l’ai aperçu pour la première fois, collé à la vitre du métro avec sa pile devant lui et mâchouillant nerveusement son stylo et tout de suite il m’a intriguée. Avait-il oublié de prendre son petit déjeuner ? Avait-il des copies à corriger avant la classe ?
Non, il ne semble pas avoir le profil de l’enseignant et croyez-moi si vous voulez, je suis experte dans l’art de découvrir les histoires des autres. C’est un jeu auquel je m’exerçais ferme au temps insouciant de l’adolescence et mes potes étaient éberlués par ma clairvoyance.
Bien sûr depuis, j’ai un peu perdu la main.

Alors cet homme, j’essaie de comprendre sa frénésie. Est-il écrivain, journaliste, chroniqueur, marchand de tapis faisant ses comptes ou ?
Pas le moindre indice si ce n’est la couleur de son écharpe, bleu roi ou ses cheveux poivre et sel en bataille avec le peigne semble-t-il !
Malgré les affluences, malgré les bousculades, il arrive toujours à se frayer un passage et à trouver une place comme réservée contre la vitre du métro, il trouve toujours une tablette où poser ses outils, un coin où aiguiser sa plume Parfois sur ses lèvres, l’ébauche d’un sourire qui disparaît au profit d’un front redevenu réfléchi. Preuve qu’il est encore vivant et capable d’expressions !

J’aimerais capter son regard pour comprendre la fièvre qui le taraude ici dans les rames surpeuplées, surchauffées.
J’aimerais m’approcher et jeter un œil par-dessus son épaule. Mais je n’ose. Comme si une onde concentrique le maintenait en dehors de tout, une barrière insurmontable.
A force de le regarder, il est devenu partie de mon décor. Son absence m’inquiète. Je l’imagine malade ou parti en voyage sans espoir de retour.
Je lui façonne une vie à hauteur de mes illusions. Je m’imagine la couleur de ses yeux derrière les paupières constamment baissées. J’entends sa voix belle et caressante, avec le rauque d’un ancien fumeur trahi par le bout des doigts jaunis. Je l’imagine sourire à quelqu’un d’autre qu’à lui-même, relever enfin les yeux…

Un jour, il faudra que je fasse le pas.
Mais comment s’affranchir face à un robot-scripteur imperméable aux sons, au chaud, au froid, aux bavardages intempestifs, à la moiteur transpirante des corps presque collés dans ce bouillon de culture citadin ?

Un jour, je trébucherais sur ses genoux, froisserais ses feuillets, ferais tomber son stylo bleu.
Et lui n’aurait plus rien d’autre à faire qu’à capter mon regard ; avec mon corps, je ferais écran au monde dont il ne fait pas partie.
Un jour moi aussi, je lui écrirais sans savoir que lui dire.
Il devra bien revenir sur terre et me voir à son tour.

un lien proposé par Francis :
http://youtu.be/tOBvD161JUA

lundi 14 mai 2012

Une fatigue ordinaire









Ses à-coups dans le cerveau
Ces cercles concentriques qui tanguent

Le bleu du ciel délavé en gris
Pas perlé
Pas piqué des vers

Lourdeur des paupières
Valse des papillotes entre cils
Du haut et du bas
En combat
Disparates

Mots saccadés éraillés
ou bloqués au fond d’une glotte
Paresseuse

Autour les nouvelles noires
Vont bon train
Accident de circulation
Embouteillage cervical

Untel est tombé sur la route
Coma
Ou pas
Il reste prostré
La main ne répond pas
Même quand cent fois on l’appelle

La jambe devenue de bois
Pèse une tonne
Sur le pavé si rapproché
Qui glisse

Tangage
Roulis
Proue en poupe
Eau qui baigne
Les neurones
Eau rose
Impure
Qui sonne un début
De glas

Mieux vaut en rire
La mort ne supporte pas
L’humour
Ni l’amour
Ni le chaud

Alors l’âtre s’active
Pour l’éloigner
Encore
Et encore

Même si je crie
On ne m’entend pas

Les médecins complices
Dehors
Continuent de se frotter les
Mains ... 



 

mardi 8 mai 2012

Tissage



















Les jours comme des cordes effilochées
À tresser encore et encore malgré l’usure
Le frottement les éraflures
Et les nuits qui les cernent
Dans leur implacable solitude

Combien de fois
Encore
Se poser la question
Combien de fois reprendre la navette
Et dénouer le peigne
Nœuds en formation
Mains écorchées
Noircir le métier jusqu’au fil du rasoir

Combien de fois
Guetter la lumière du jour
Carder les couleurs
Se noyer dans l’échancrure
À l’expiration
Des fils naissants ? 


jeudi 3 mai 2012

Ex-siamois





Nos rires se mêlaient
Dans les chaudes journées de l’été
Nos voix murmuraient les mêmes musiques
Ce que tu aimais je l’aimais aussi
Ce que j’aimais tu le dévorais aussi
Dans cette boulimie contagieuse
Dont on ignorait la première impulsion

Nous étions
Deux doigts de la même main
Deux corps du même socle
Ancrés jusqu’à l’âme

Le temps a balancé nos rires
Et nos courses dans la campagne en fleurs
Soudain défraîchie




La langue pendante
Il aurait fallu
Rentrer au bercail
Sans passion

Quand les âmes-sœurs
Se disiamoisent
Quel salut reste-t-il
Pour les individualités
Renaissantes ?