vendredi 27 août 2010

Des coups sur la persienne






Elle était venue tambouriner à la porte
J’avais déjà sonné le couvre-feu
J’avais déjà fermé les persiennes
Qui m’excluaient du monde

Je la connaissais de vue
Une forte femme à l’ossature puissante

Sa voix à côté de cette silhouette sculptée
Semblait empruntée à quelque autre,
Fluette et craintive

Elle m’a priée en hoquetant
De la laisser entrer
Tandis que sa poitrine opulente
S’agitait en soubresauts réguliers

IL allait se rendre compte
De sa fuite
Et la poursuivre
Pour continuer ce qu’IL avait commencé
Quelques heures plus tôt :
Un tabac

C’était sa manière-lanière
De lui prouver son affection
Avec éclat
Devant l’enfant
Qui n’était pas le sien

J’ai appelé la police
Me suis heurtée
À l’indifférence
Les femmes battues
Ça n’intéresse personne
N’ont que ce qu’elles méritent
C’était la xème fois …
Et quand ils arrivaient
Tout était recousu
IL se saoulait
Cassait ce qui était à portée de vue
Puis s’attaquait à elle
Moelleuse et consistante

IL a de nouveau frappé
Cette fois
À ma porte
J’avais coupé la sonnette
J’ai pensé
IL a un flair de limier
Non, il avait simplement vu
La lumière rouge filtrer
Derrière les rideaux mal lissés

IL pleurait presque
Regrettait
Ne recommencerait plus
Du moins pas tout de suite

Je ne répondais pas
La regardait
Elle, la crédule, la naïve
Prête à gober
Le premier mensonge venu
Pourvu qu’il soit tendre

Pendant qu’elle s’épanchait
Sur lui
Je pensais à l’enfant-témoin
Resté seul
Au milieu de la nuit.

mardi 24 août 2010

Avec ou sans pans


L’homme
Entre deux âges
Entre mur et buissons
Par les brèches des feuilles clairsemées
Des aucubas vieillissants
Laissait paraître sa
Virilité entre les larges pans
De son peignoir gris
Morne
Sale

Plus tard
Il se libéra de son reste de pudeur
Et de la chambre voisine qui surplombait la cour
Gravelée
On le vit
Se trémousser
Dans son plus simple
Appareil
Malgré la fraîcheur
Tombée du toit
Après ces dérives
Caniculaires.

mercredi 18 août 2010

Solitaire, tu resteras ?




Elle n’avait jamais remarqué que dans ses moments de désœuvrement, elle s’acharnait à jouer au solitaire.
Le solitaire lui faisait en quelque sorte compagnie.
Ces cartes isolées sous la magie du jeu ou les hasards chanceux s’unifiant, formant une grande boucle solidaire.

L’objectif était d’aboutir, de tourner le dos à la malchance, de maîtriser le destin des cartes.

Non, pourtant ce n’était pas l’ennui qui la motivait, elle avait ici et là tant de choses à faire sans nécessairement se donner des objectifs ambitieux.
Qu’était le solitaire sinon une forme de constat d’échec de sociabilité ? Alors inconsciemment, elle cherchait de puérils palliatifs.

Il a fallu si longtemps pour prendre connaissance de cela, pour se regarder de l’extérieur, de l’autre côté du miroir.
Ce miroir qui lui reflétait l’image floue d’une femme vieillissante, terne, enragée, prête à tout pour gagner, à recommencer cent fois la même partie pour trouver la solution !

Elle se rendit compte qu’elle aimait jouer, elle regarda de nouveau le miroir qui s’était entre-temps transformé : une femme élégante, maquillée assise à une table de poker en compagnie de trois beaux mâles avides et attentionnés.

C’était un signe des temps, elle apprendrait à jouer au poker, elle deviendrait une joueuse professionnelle, elle embellirait son banal quotidien, sortirait de sa vieille maison sombre pour briller dans les endroits huppés où on la saluerait respectueusement au passage.

D’un geste brusque, elle brouilla les cartes, les jetant sur le sol, prit son manteau et sortit !

La porte claqua et le miroir s’éteignit…

samedi 14 août 2010

Rester de bois - dans la série "angles"







Il m’avait écrit : « Je sais que tu penses que j’ai eu tort de m’exiler, pardonne-moi de ne pas t’avoir écouté, mais je n’ai trouvé nulle part l’endroit qui m’était destiné. Je suis malade, je voudrais que tu t’occupes un peu de lui, tu le trouveras dans le jardin du château de K. »


Quand son père était mort, plus rien ne l’attachait à ce petit village où il avait à la fois beaucoup souffert et beaucoup ri.
Son physique ingrat d’abord qui faisait qu’on ne le prenait jamais au sérieux et puis la métamorphose due paraît-il à un arrivage d’un train de sagesse dans son esprit fantaisiste.
Alors aux quolibets avait succédé une sorte d’envie voire de jalousie : pour quelle raison ce fils de manant avait-il trouvé une protection providentielle et quels avaient été ses véritables mérites pour qu’il devienne un enfant vif et séduisant ?

Sinon, rien d’autre que son aspect n’avait changé. Un peu plus de confort peut-être, conséquence de la curiosité populaire qui avait amené dans l’atelier du père une affluence subite de commandes. A croire que le village entier voulait changer de meubles, élargir son lit, raccourcir une table, décorer une chaise.

Le fils n’était pas assidu à l’école, il n’avait jamais eu de motivation pour étudier. Le père surchargé, accepta qu’il l’aide à l’atelier. Aider était un bien grand mot car le fils rêvait plus aux alouettes qu’il ne caressait le bois. Il voulait partir, dans le nord, disait-il, là où l’on trouve les plus belles essences de bois, là où la lumière scande bien le rythme des saisons, la claire et la sombre.

La protection providentielle qui s’était matérialisée sous les traits d’une femme vieillissante, ne put en rien l’influencer, il avait bien gardé sa tête de bois.

Son père mourut de chagrin et d’épuisement, rien n’avait donc changé si ce n’est que la pauvreté avait disparu.

Alors il ferma boutique, rassembla le joli pécule que son père avait amassé pour lui et partit à l’aventure.

Pendant des années, je n’eus pas de nouvelles de lui ; et puis, un jour, cette lettre qui arriva à mon adresse, il me connaissait bien, il savait à quel point j’étais attaché à ma maison, à ma famille et que je resterai collé dans ce petit coin de campagne.
Il avait couru partout, à la recherche de ses véritables origines, il avait vieilli précocement, il avait rencontré la femme de ses rêves, une belle jeune fille blonde qui vendait des allumettes et des crayons, il lui avait parlé de ses aventures en les embellissant un peu à son avantage, de ses projets en faisant appel à son sens de l’impro.

Elle s’était laissée séduire, avait cru aux belles paroles, aux projets fous et puis ils avaient eu un enfant. Cela finit aussi vite car elle mourut en couches effrayée par le petit être insolite à peine sorti de son ventre et qui semblait vouloir renoncer lui aussi à une vie pas encore ébauchée.

Alors pour la première fois depuis des années, il pria, oh, pas le ciel, ni un dieu, il se souvint de la fée, sa protectrice providentielle qui lui avait permis autrefois de rebrousser le cours de son destin. Et dans ce pays où les fées aussi se rident, la fée l’entendit et comme autrefois, l’accabla de remontrances tout en sachant que cela ne pouvait atteindre la fibre profonde de son cœur. « Ton fils vivra à condition qu’il reste constamment attaché à la terre »
Et le fils par je ne sais quel miracle de la magie devint partie intégrante de ce jardin dans le château de K, juste au bord de la mer.

J’ai retrouvé cet arbre au faciès humain et il m’a chuchoté son histoire. Il m’a parlé des mensonges qui avaient émaillé la vie de ses aïeuls, de ce morceau de bois venu on ne sait d’où transformé par un père en mal d’enfant, de cet enfant qui tenait tant à sa liberté au point de se maudire, de cet espoir avorté de changement, de l’abandon, de la fuite et d’un amour basé sur une confiance imméritée, de la mort de sa mère qu’il n’avait pas connue et de l’exil de son père dans un monde mental inaccessible.

Il m’a parlé aussi de sa précarité, de la remise en question constante de son existence au milieu de ce jardin, présence inopportune sur le sentier qui mène à la mer
De toutes les fois qu’on a apposé sur son tronc la marque blanche criminelle et de toutes les fois où elle a disparu
De ces bûcherons venus pour l’achever et qui au moment fatidique tombaient malades, de ces scies qui refusaient de répondre et de l’orage qui clamait soudain sa colère.

Alors d’un geste tendre, j’ai posé ma main sur ce tronc mal aimé et j’ai caressé longuement le fils de Pinocchio et de la petite fille aux allumettes.



Ce texte a d'abord été publié dans son entièreté dans "Des Millions de mots"

mercredi 11 août 2010

Dérobade


















Dis, cette petite ombre
au tableau trop noir
C’est quoi ?
Un visage retors ?
Un rictus estompable ?

Le souvenir trop vague
D’une face
en face à face
qui m’a troublée
Au point d’effacer son apparence
Du tréfonds de ma mémoire
Autrefois précieuse et ramifiée
Et maintenant
Désemparée, hésitante, bégayante
Planant dans un brouillard de syllabes
Bancales
Hétéroclites

Une baffe aux sentiments
Rétro ridicules trompeurs
Quelques instants pendus au plafond d’un café vieillot

Une balade de mots qui
S’effleurent de bras
Au rythme de pas
Provisoirement au pas

Un regard vacillant qui plonge
Pour découvrir l’antre
D’un rêve

Et puis, un moteur qui s’allume
Et passe
Et s’éteint dans la nuit
Tombée comme une assiette
Du haut d’un vaisselier

vendredi 6 août 2010

Les gardes-chiournes



Les gardes-chiournes avaient érigé des barrières et derrière eux n’avaient laissé que des cendres.
Pour empêcher la fuite de la renommée, la garder bien enchâssée entre les murs qu’ils s’étaient construits à la sueur perlante de leurs protégés et vice au versant.

Murs illusoires bercés par de vaines paroles souvent qu’ils s’envoyaient en clin d’œil sans en tester la validité ou la pertinence.

Moi, dans ce paysage quichottien, je ne me battais pas, mais ils existaient les moulins imaginaires, ils ne savaient cependant pas qu’ils l’étaient, et moulins qui brassent et imaginaires qui s’accordent de l’importance.
Ils se contentaient de rire et de badiner, de s’échanger des politesses, public trié sur les volets qui claquaient en creux . Un jour ils se perdraient dans leurs propres méandres oubliés, sauf d’eux-mêmes.

lundi 2 août 2010
























Des tombes jaillissaient dans les endroits les plus insolites.
Sur la pierre brute embrassée par les lichens, une plaque par je ne sais quel miracle d’équilibrisme attestait de soixante modestes années d’existence.
Seul écart à la sobriété des lieux : une couronne dégarnie
Et mon ombre fugace …