jeudi 24 juin 2010

Une famille



Ils s’étaient assis face à face
Famille vraie
Famille reconstituée
Lire sur les visages les traits qui rassemblent

Ils avaient décidé de faire chacun leur voyage en solitaire
Avec la technique à leur service
Deux adultes
Deux enfants
Les enfants, console de jeux pour compagne
La grande fille était rentrée tout de suite dans son univers
calfeutré.

Le gamin avait envie de parler avec son père
ou à l’homme qui en faisait office.

Mais l’homme avait pris son livre de jeux et
repoussé d’avance la demande non encore formulée.
Alors le petit s’était collé à la vitre du train
laissant défiler rien que pour lui le paysage blanchi
le jeu mal aimé tremblait dans la main déçue et incertaine.

La mère avait fermé ses branchies en les occultant avec des écouteurs
fermait aussi les yeux
semblait chantonner en silence …

Une famille quoi, avec tout ce que cela a d’unifiant et stimulant !

Moi sur la banquette attenante, j’assistais à ce théâtre de vie
entre deux pages d’un livre qui ne me passionnait guère.
Je ne sais pourquoi je pensais à cet homme que j’avais appelé
mon ami et qui m’avait signifié mon
congé, juste à la veille des examens.

Ma situation n’avait rien d’enviable à la leur
ma solitude apparente se frottait à leur solitude feutrée.

Le gamin s’ennuyait, me jetant des regards à la limite du sourire.
Je sentais cet appel – instinct maternel en déshybernation.
J’aurais aimé lui raconter quelque histoire
écouter les anecdotes qui devaient habiter son esprit
et qu’il aurait voulu partager.
L’espace à la fois exigu et large ne s’y prêtait guère.
Pourtant les deux mètres qui nous séparaient
chacun de notre côté
accroché à nos vitres respectives n’étaient rien
comparativement aux kilomètres qui le séparaient de ses parents.

Je lui ai souri.
Il n’attendait que ça pour
me répondre en silence.

Alors, la mère se rendit compte, qu’il se passait quelque chose
Elle enleva ses écouteurs et se tourna vers moi.
Elle voulait un conseil sur le but du voyage,
le marché de Noël à Liège,
à quelle gare fallait-il descendre ?
Je rassemblais dans ma tête mes connaissances très rudimentaires
sur les us et coutumes de la ville
qui n’était pas mienne
en m’excusant de mes imprécisions.
Une glace était rompue.
Chacun sortait de son îlot précaire.
Des mots se libéraient, avides d’espace.
Le gamin, heureux,
d’un geste taquin,
secoua le bras de sa grande sœur.

Enfin, il se passait quelque chose dans un monde
qui contenait désormais plus qu’un singleton …

10 commentaires:

  1. dans les trains
    ce face-à-face des banquettes
    qui délivrent les cicatrices
    des vis-à-vis

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  2. Un monde étrange ou, plus simplement, le monde tel qu'il est ? Rempli de tristesse ?

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  3. Il suffit d'un peu de sourire pour décarapaçonner, un rien qui fait tout. A quoi tient le monde?

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  4. le train lieu de possibles : départ, arrivée, rencontre... :)

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  5. @ Gilbert
    Dans les trains, des blessures à penser ...

    @ Marcel
    Le monde tel qu'on le ressent à travers les yeux des autres, triste un instant et gai l'instant suivant ...

    @ Aléna
    Même les sourires virtuels dégèlent les banquises et c'est tant mieux ...

    @ Lu LM
    Un microcosme qui dure le temps d'un trajet et puis s'en va...

    @ Michaeline
    Bonjour, ta nouvelle maison te plaît ?

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  6. Mille mercis de ton passage. Cela me fait drôlement plaisir car il me semble que j'ai le verbe encore rouillé, comme cette famille dont les mots restaient noués au fond de la gorge. Par pudeur ? Les mots se lient toujours avec cette aisance délicate chez toi. C'est un plaisir rare de te lire.

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  7. @ Nad
    Vraiment contente de te retrouver, Nad ! Suis passée souvent devant tes volets clos ...et voilà que la lumière fuse.
    Quelle archiviste de talent tu fais ! Voudrais être une petite souris pour savoir comment tu t'organises (promis, je ne grignoterai rien chez toi !).Merci pour tes mots retrouvés !

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  8. Que serait-on sans les autres? Il suffit de quelques mots partagés...

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  9. @ Eric
    Et dire que parfois (souvent?) on parle pour ne rien dire !

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