
Nous sommes tous des photographes, chacun à notre façon, nous regardons le monde à travers nos objectifs avoués ou pas, avec nos réflexes ou nos compacts.
Nous impressionnons la pellicule des apparences, nous nous arrogeons le droit d’en quantifier l’exposition, niveller les niveaux selon nos humeurs, caresser les courbes sous l’abscisse à peine effarouchée.
Quand le sujet relève de l’objet inanimé ou presque, la tâche est facile, on peut l’ombrer, accentuer ses contours, lui jeter un cœur d’aquarelle, sans risquer de le dénaturer à l’alcool de nos envies.
Mais pour l’humain, il faut louvoyer avec finesse, déjouer ses plans sans qu’il s’en aperçoive, capturer son image en lui donnant l’impression de jeter un regard subreptice autour de lui et surtout ne pas insister sur ses défauts en les gommant. Une verrue capturée effacée est une insulte à son intégrité physique. Lui lisser la peau est une manière indélicate de lui rappeler qu’il a vieilli. Par contre le maquillage de ses yeux rouges lui fera agréablement oublier ses tendances vampiriques.
Nous transportons notre attirail léger et terrible dans nos programmes de réinsertion, notre palette multicolore peut pâlir ou foncer à volonté selon notre humeur du jour.
Nous sommes des chirurgiens de l’âme dressés à l’esthétique des sens.
Nous sommes des météorologistes capricieux qui changeons les lueurs du ciel.
Nous sommes des miroirs du temps que nous façonnons à notre guise.
Et quand il nous faut revenir sur terre et qu’un miroir impertinent et vrai nous renvoie notre propre image nue, nous fermons les yeux pour ne pas la voir, préférant l’œil noir et subjectif de notre objectif.
Nous sommes tous des photographes.