
J’ai vu Dijon, le Dijon qu’avait vanté Aloysius Bertrand, je l’ai vu dans la belle lumière d’un dimanche après-midi, j’ai vu le jacquemart, la cathédrale, les gargouilles ricanantes prêtes à me sauter dessus, je les ai figées de mon œil photographique.
Je n’ai pas aimé les touristes dont j’étais, j’aurai voulu la ville pour moi seule avec ses souvenirs redevenus dans ma tête vivants comme les comédiens de la vie d’antan.

Je suis entrée dans un musée et je me suis promenée, guettant la courbe racée d’une sculpture, l’expression d’un regard, le détail insolite, un lion aux yeux d’humain, des viscères étalées au milieu d’un ventre ouvert, et le visage de Napoléon, jeune, d’une belle couleur ocre avec les cheveux rangés et presqu’en bataille.
Je l’ai regardé sous toutes ses coutures, le captant dans mon viseur, manège qui a inquiété mes voisins, un couple du troisième âge.
Nous avons parlé longtemps, de photo, d’art, d’enfants, de métiers, de perspectives d’avenir. Elle, parisienne n’aimait pas Dijon, trop petit, trop mort…venue ici pour rejoindre un fils unique qu’on avait muté et qui a fini par ne plus avoir besoin de ses parents…Désillusion, déception de retrouver son mari retraité dans ce cercle réduit du couple.

Je lui dis la raison qui m’a attirée ici : retrouver ces ébauches de vie médiévale que le poète a décrites avec tant de ferveur.
Elle a mal compris, elle me parle du film de Yann Arthus-Bertrand qui a impressionné tant de monde. Je rectifie, mais cela glisse, elle ne m’écoute pas enserrée dans son monde d’indifférence et de dédain …Elle voudrait me prendre à partie, me dire sa solitude de femme, ses échecs de mère, la vie qui s’écoule loin de la ville où elle est née…
Mais d’où je viens, dans cette retraite de la montagne, dans cet embrasement de rochers, le contact avec la ville, les musées, les gens me paraît soudain si vain, si futile, absente au milieu des pierres, des monuments, des voitures, des piétons.
Je voudrais retrouver la solitude de la nature, la garder longtemps en moi. Je voudrais retrouver l’essouflement de la montée, la fatigue des mollets, la raideur des bras qui empoignent les marches et accrochent les longes, l’arrêt, suspendue dans le vide, pour embrasser le paysage alentour, les exercices de funambules sur la planche ou sur les filins avec pour toute attache deux fils qui me raccrochent à la vie et me sentir à la fois si haut et si petite…
Dijon, toi, si belle, je ne suis pas disponible pour toi, tu n’es qu’une étape sur la route du retour…

