dimanche 28 novembre 2010

Choses bancales




En littérature
Un nouveau concept était né
La poésie des choses bancales

Les intellos diraient
Qu’il s’agissait encore d’un nivellement
Par le bas
Un rabotage des crêtes en quelque sorte

Quoi ?
Mettre la poésie aux mains des manants
De ces juste alphabétisés
Qui se gaussent de pouvoir aligner
Des syllabes
Dans un ordre capricieux

Et surtout pas de rime
La rime déprime
La rime décime la créativité
La créativité des masses apporte du sang nouveau

La poésie en fast-food
La poésie en barquettes prêtes à être enfournées
La poésie en veux tu en voilà
Habillée de paillettes achetées par kilos au bazar du coin

C’était la mort
Du toro
Dans l’arène
Un combat injuste
Contre l’esthétique
Contre la spécificité de l’écriture
La négation de leur statut de classe
Tellement supérieure

La poésie des poubelles
Des couches-culottes souillées
Des pieds de nez à l’étiquette
Des jurons élevés au rang d’ukase

Il fallait donner sa chance
À tout le monde
Rendre accessible les mots
Les rendre extensibles
Et jeter les classiques au pilon
C’était impératif
Ceux qui ne s’y pliaient pas
Seraient rudement sectionnés.

mardi 23 novembre 2010

Plume (s)



J’ai toujours pensé que tu avais une plume
Toi qui habillais des chapeaux de mille fanfreluches plumetées

Quand tu avais fini ta composition
Tu prenais du recul et tu éclatais de rire
En balançant tes ciseaux, tes aiguilles.

J’aimais la plume qui squattait ton cerveau
Elle était légère et rieuse
Et tes chapeaux m’enchantaient

jeudi 18 novembre 2010

Dijon




J’ai vu Dijon, le Dijon qu’avait vanté Aloysius Bertrand, je l’ai vu dans la belle lumière d’un dimanche après-midi, j’ai vu le jacquemart, la cathédrale, les gargouilles ricanantes prêtes à me sauter dessus, je les ai figées de mon œil photographique.
Je n’ai pas aimé les touristes dont j’étais, j’aurai voulu la ville pour moi seule avec ses souvenirs redevenus dans ma tête vivants comme les comédiens de la vie d’antan.

Je suis entrée dans un musée et je me suis promenée, guettant la courbe racée d’une sculpture, l’expression d’un regard, le détail insolite, un lion aux yeux d’humain, des viscères étalées au milieu d’un ventre ouvert, et le visage de Napoléon, jeune, d’une belle couleur ocre avec les cheveux rangés et presqu’en bataille.
Je l’ai regardé sous toutes ses coutures, le captant dans mon viseur, manège qui a inquiété mes voisins, un couple du troisième âge.

Nous avons parlé longtemps, de photo, d’art, d’enfants, de métiers, de perspectives d’avenir. Elle, parisienne n’aimait pas Dijon, trop petit, trop mort…venue ici pour rejoindre un fils unique qu’on avait muté et qui a fini par ne plus avoir besoin de ses parents…Désillusion, déception de retrouver son mari retraité dans ce cercle réduit du couple.





Je lui dis la raison qui m’a attirée ici : retrouver ces ébauches de vie médiévale que le poète a décrites avec tant de ferveur.
Elle a mal compris, elle me parle du film de Yann Arthus-Bertrand qui a impressionné tant de monde. Je rectifie, mais cela glisse, elle ne m’écoute pas enserrée dans son monde d’indifférence et de dédain …Elle voudrait me prendre à partie, me dire sa solitude de femme, ses échecs de mère, la vie qui s’écoule loin de la ville où elle est née…

Mais d’où je viens, dans cette retraite de la montagne, dans cet embrasement de rochers, le contact avec la ville, les musées, les gens me paraît soudain si vain, si futile, absente au milieu des pierres, des monuments, des voitures, des piétons.
Je voudrais retrouver la solitude de la nature, la garder longtemps en moi. Je voudrais retrouver l’essouflement de la montée, la fatigue des mollets, la raideur des bras qui empoignent les marches et accrochent les longes, l’arrêt, suspendue dans le vide, pour embrasser le paysage alentour, les exercices de funambules sur la planche ou sur les filins avec pour toute attache deux fils qui me raccrochent à la vie et me sentir à la fois si haut et si petite…
Dijon, toi, si belle, je ne suis pas disponible pour toi, tu n’es qu’une étape sur la route du retour…






jeudi 11 novembre 2010

Disparue sans le savoir ?




Pendant quelques lambeaux du temps, je m’étais retranchée du monde.
J’avais traversé des mers, des fossés, des étangs, escaladé des murs, des montagnes, des étoiles au-delà de la voûte céleste, à la recherche d’un signe insolite.
Je m’étais évaporée, goutte d’eau caressée d’un rayon de soleil.
J’avais décomposé mes particules de matière pour les recréer dans un ailleurs parallèle.
Le lit gardait l’empreinte encore chaude de mon corps évanescent.

Il s’était retourné, me regardait et ne voyait rien qu’une légère boursouflure repoussée par les draps.
Il s’étonna de mon départ silencieux, me chercha dans la grande maison vide.

Quand il revint enfin, escorté par son inquiétude, je m’étais recomposée.
Je dormais calmement.

Il me demanda d’où je venais.
Je ne comprenais pas sa question.
J’étais restée suspendue dans les bras de Morphée.
Imperméable à son remue-ménage.

Il lui aurait suffi de se pencher vers l’ombre de mon corps invisible pour percevoir dans le silence le rythme régulier de ma respiration.

jeudi 4 novembre 2010

Abandon


Elle gisait là, au milieu d’un champ, sur une petite route de campagne déserte.
La cruauté des gens n’avait-elle pas de limites, elle avait servi fidèlement de réceptacle pour les postérieurs les plus divers, avait subi les assauts grattouillés des matous limeurs.
Elle était passée du salon à l’arrière cuisine presque sans transition, on l’avait jetée une première fois sur la rue, elle avait passé une nuit d’angoisse an attendant le camion-poubelle.
Par chance, des étudiants l’avaient récupérée avant le grand fauchage pour lui faire exécuter des prouesses photographiques.
L’année scolaire était terminée, ils devaient vider leur kot et se débarrasser de leurs vieilleries.
L’un d’eux avait pensé la faire passer entre les mains habiles d’un copain ébéniste, l’avait emportée dans le bric-à-brac de sa 2 CV déglinguée, s’était reviré en cours de route, imaginant déjà la tête des parents en voyant cette épave, avait pris un chemin de campagne et dans un dernier sursaut de non-violence, l’avait déposée délicatement sur la terre dont elle sentait déjà la moiteur dans ses flancs !