jeudi 29 décembre 2011

Des mots sans faille




Longtemps après la faille, les yeux en quête d’amour continuent à chercher.
Le visage qui s’estompe et pourtant s’affirme en mémoire dans l’écho des mots qui courent bouscule les habitudes post-relations.

Les mots se faufilent en longues bribes à travers les couloirs factices du temps.
Ils comblent les fosses marines, construisent des monstres fantastiques, féériques qui recréent des possibles au milieu du néant.

Longtemps après la faille, après l’évanescence de l’amour qui s’est dilué, les mots, encore, résonnent, résonnent, même vidés de leur contenu suggestif, même évaporés en gouttelettes de sueur aigre-douce, ils parlent sans bouger les lèvres, sans retour possible.

Les mots dépouillés de leurs oripeaux des dimanches passés, de leur pouvoir de séduction, de leurs intentions troubles, les mots, dans l’essence même de leurs lettres qui se marient et se démarient, les mots.
Les mots, comme les yeux, ne subissent pas les assauts du temps.
Ils parcourent les siècles, créent des légendes, érigent des chefs-d’œuvre.
Mais sans vanité, sans orgueil.
Ils ne se laissent pas berner par des concepts creux, ils leur survivent …
A l’inverse des hommes qui les tordent, les manipulent, les bafouent, les extirpent, les mots nus ne mentent jamais.


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mercredi 21 décembre 2011

La quadrature du cercle




Faire le tour
De la quadrature
Du cercle
Dans le sens inversé de l’aiguille
Du Nord
Au grand dam
Des heures zénithales

L’abaque est resté muet
Les mages ont déversé
Force potions
Sans que le fil d’horizon
Ne bouge

A l’encontre
Des grands principes
Postulats et axiomes
Se bousculent à l’entrée
Mais sans conviction aucune
Que le tralala de chiffres épars
Désordre involontaire
Soubresaut du rationnel contre l’ir-
Rationnel
Omniprésent
Et
Placide.


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samedi 17 décembre 2011

Il se moquait de tout


De toi, de moi, des grands principes, des gens qui rient, des gens qui pleurent, des nostalgiques, des regrets, de la bêtise, de l’intolérance, du froid, du chaud
S’il avait pu se moquer de son propre reflet dans le miroir, il l’aurait fait.
Mais il refusait les miroirs, il refusait les photos, il refusait de laisser apercevoir ce petit coin d’âme qu’il avait gardé d’une enfance cahotante, déchirement, exode, peur de l’inconnu, des mots qu’on ne comprend pas, du regard des autres qui le dévisageaient, lui, l’étranger.

Il avait cette rage qui lui provenait de ses ancêtres, ce qu’il ressentait inconsciemment, ce qu’il s’était construit au récit des proches. Se battre pour l’égalité, s’engager sur des terrains politiques dont on ignorait à l’époque qu’ils étaient souterrainement minés, se tenir à des grands principes pour ne pas renier le sens d’une vie.
Il avait gardé de ses aieux, en l’effilant ce sens critique exacerbé qui détruisait tout sur son passage.

Et de temps en temps, mais si fugace qu’il fallait être à l’affût pour s’en rendre compte, une pincée de tendresse qui s’allumait pour quelqu’un de passage, il commençait à la cultiver avec délicatesse mais il finissait indéniablement par la détruire par peur de se sentir soudain vulnérable, de remettre en question une vie dont il avait érigé si fébrilement les piliers.


mardi 13 décembre 2011

Avec des bottes de pirate




Sans rien dire à personne
Juste à l’heure de la sieste
Il a pris son manteau
Enfilé ses bottes bleues
Aux allures de pirate
S’est éclipsé de l’appartement exigu
Qui donne sur la plage

Il avait envie de solitude
Cadencée par le chant des vagues
Bercée par le vent d’automne
Et d’air qui gifle et rosit les visages.
Dans ses mains froides
Il tient une fontaine de couleurs
Assortie à ses bottes
Vestige d’un anniversaire proche
Il voudrait que l’air froid
L’embrase et la fasse éclater
En paillettes ardentes.

Il pense aux siens
Qui doivent le chercher
S’inquiéter
Se morfordre
Il pense aux blagues qu’il leur a déjà infligées
Prémisses des frayeurs à venir.

Il sourit
De se sentir libre
Il est bien
Il est heureux.

mercredi 7 décembre 2011

Demain




Je ne sais de quoi demain sera fait.
Je ne me pose pas la question.
Il y a quelques temps, j’avais redécouvert l’espoir et un peu plus tard, de nouveau, la déconvenue.
Je vis avec. Elle ne me pèse pas vraiment ou alors parfois.

Quand je suis triste, je regarde autour de moi avec des yeux rajeunis.
Je découvre les rides des paysages et les vallons dans les visages.
J’écoute des voix connues et je lis sur les lèvres de ceux qui chuchotent en silence.
Je rencontre des gens que je pensais ne jamais revoir et ça fait du bien de se dire qu’on n’est pas ennemis, qu’on s’est juste perdus de vue, même si moi, je ne l’avais pas souhaité.
On fait semblant d’être de vieux amis, d’ailleurs fait-on semblant ? Ou l’est-on vraiment même si on ne veut pas le reconnaître ?

La vie de tous les jours sculpte aussi des barrages à d’autres lendemains.
Mais c’est celle à laquelle on s’attache parce qu’elle fait partie intégrante de nous, parce qu’y renoncer, ce serait une forme de reniement de notre essence.
Et on ne renie pas l’édifice sur lequel on a posé des pierres communes avec nos proches.

Je ne sais pas de quoi demain sera fait.
Peut-être de nouvelles rencontres qui ne prêteront pas à confusion, juste un moment agréable, juste l’instant présent.
Juste taire le hasard qui brouille les pistes et favoriser celui qui crée diversion …




vendredi 2 décembre 2011

La femme sur un banc




Il fait si beau.
Elle, attifée comme un sac dans un tablier à fleurs d’un autre âge, le foulard autour du cou et des sachets plastique à chaque bras d’où émergent des objets insolites et pas de première fraicheur, il semble, passe devant notre banc devant les étangs en fête et s’installe sur le bord extrême du banc suivant comme si elle avait peur que quelqu’un veuille la toucher.

Elle dénote un peu parmi les élégants et les robes à dos-nu, on la croirait sortie d’un roman de Simenon, attendant un rancart qui lui livrera une quelconque rançon contre des objets ou secrets volés. Elle ne regarde personne, fixe droit devant elle, s’attarde-t-elle à suivre les silhouettes nombreuses qui déambulent devant elle.

En tout cas, aucun signe de son visage ne témoigne d’une quelconque attention. Elle reste assise comme si elle attendait un tram qui ne vient pas. La gare des trams métallique et moderniste à ciel presque ouvert s’étale à dix mètres et ne s’étendra pas jusqu’à elle.

Ma voisine est une jeune fille brune au visage avenant que j’ai rencontrée dans le quartier lors de la dernière fête des voisins. Eh oui, dans le grand désespoir solitaire des villes, on a instauré cette fête pour qu’une fois par an une porte s’ouvre et que des langues inconnues se délient.
Dans la masse majoritaire des voisins quinquagénaires, cette jeune fille et son groupe d’amis colocataires faisaient tache mais tout compte fait, ils sont bien sympa quoique étant plutôt du genre artistes fauchés. Ce jour-là, pour l’occasion, ils s’étaient douchés, peignés, talqués, ils avaient mis leurs plus beaux atours (à moins que ce soient des costumes de scène – j’ai cru comprendre qu’une des filles était scénographe – je serais curieuse d’aller visiter la garde-robe qu’elle doit conserver au sous-sol).
Alors on a parlé de tout de rien, de culture (ils sont très forts dans ce domaine, musiciens, comédiens, chanteurs, designers et j’en passe) je leur ai montré la photo de mes enfants partis l’un aux States, l’autre en Indonésie.
Ça fait toujours de l’effet quand je dis que je travaille dans une banque et que mes enfants ont des situations dorées sous d’autres latitudes. A vrai dire, pour le doré, je n’en suis pas si sûre : ils n’ont jamais voulu que j’aille les voir prétextant qu’ils étaient trop occupés, que leur emploi leur mange tout leur temps et ne leur en laisse même pas un peu pour fonder une famille, que ce sera dans quelques années ...

Je disais donc que j’avais rencontrée ma jeune voisine devant le glacier C. juste en sortant de mon boulot. Je n’avais pas envie de me retrouver toute seule avec mon chien qui comme à son habitude aurait exigé sa promenade quotidienne en me ramenant sa laisse et en me suppliant du regard. Cette bête m’ennuie vraiment. Quand le père de mes enfants s’est envolé avec une jeunette il y a quelques mois, c’est tout ce qu’il m’a laissé : un chien vieillissant et plaintif. S’il n’était pas parti à quelques centaines de kilomètres, je lui aurais bien ramené son chien porteur de pantoufles (moi je ne supporte pas les pantoufles, surtout celles de mon ex-mari.

Mais je digresse, est-ce déjà un signe avant-coureur de quelque sénilité foudroyante ?
La jeune voisine et moi échangeons des propos banals. Qu’y a-t-il de commun entre nous ?
Pas grand-chose, sans doute. La culture n’est pas mon domaine privilégié (je crois que je vous ai dit que je travaille dans une banque au milieu des chiffres rebelles qu’il faut dompter pour les aligner dans des colonnes bien tracées). La mode, encore moins, il suffit de me regarder, avec mon tailleur proprement coupé, j’ai l’impression de sortir d’une série américaine où je serais avocate au grand cœur défendant un beau séducteur menteur. Que voulez-vous ? Je ne suis pas une femme dentelles alors je la joue femme hommes d’affaires. Pour notre clientèle argentée, ça le fait toujours. Et puis, la fille ne semble pas être un canon de la mode, oui, proprement habillée avec un brin de fantaisie qui accentue son charme latin, elle rayonne au soleil et son sourire vaut bien plus que ses fringues. Les enfants ? Elle n’en a pas et ne semble pas prête à en faire, d’abord pour faire des enfants, il faut avoir les moyens et je crois qu’elle ne les a pas vraiment, cela supposerait arrêter de travailler ou engager une nounou. Pas donné à tout le monde. Les travaux dans le quartier, ah oui, éternel sujet de jérémiades avec les bull qui se mettent à ronronner dès six heures du matin, et les camions qui ramènent des marchandises au milieu de la nuit pour ne pas déranger la circulation ou pour ne pas être dérangés. Oui, ça c’est un sujet preneur qui met à l’unisson toutes les générations confondues.

Et puis, le temps, ce formidable été indien qui a pris le relais de la saison pourrie d’avant l’automne, les gens qui se baladent, qui trompent les dates avec leurs parures estivales. On regarde autour de soi, près des étangs, les fontaines clapotent dans le soleil et les promeneurs se prélassent sur les pelouses sèches. Un chien accroché au socle d’une statue tourne en rond en espérant qu’on ne l’oubliera pas, il se dit : c’est ça une promenade, une liberté circulaire de 3,50 m pendant que son maître sirote une bière (si c’est un homme) ou mange une glace (si c’est une femme) un peu plus loin.

Mon esprit retourne à la femme toujours sur son banc, elle qui m’a inspirée ces quelques lignes d’écriture jetées furtivement sur le clavier.
Elle est toujours là, elle attend le prochain arrivage, la prochaine brocante où elle restera patiemment jusqu’à la fin pour ramasser les derniers rossignols. J’imagine l’entrepôt où elle expose ses innombrables trésors dans un désordre théâtral. Ce n’est pas l’espace qui lui manque. Elle possède dans les beaux quartiers plusieurs immeubles qu’elle loue au prix fort à ceux qui en ont les moyens ou veulent paraître.

Mais son cœur de brocanteuse ne peut se satisfaire de ces revenus facilement gagnés qui tombent chaque mois dans son escarcelle.
Sa vraie vie, son aventure, c’est ici sur ce banc à réfléchir aux prochaines chasses, à son addiction de collectionneuse et à ne parler à personne qu’aux objets tombés sur sa route.