mardi 29 mars 2011

Soif




A la sortie du train, il s’engageait à grandes enjambées dans le passage pour piétons bousculant presque ses voisins.
Il s’engouffrait dans le premier café
Comme s’il voulait se noyer dans un verre
Oubliant à l’instant qu’il y en avait eu des tas d’autres avant
Qu’il y en aurait des tas d’autres après
Qu’ils avaient tous la même saveur amère
A chacun d’eux, il réservait une dévotion particulière
Moment d’abandon du corps et de l’esprit
Nectar qui déshydrate appelle à une réhydratation imminente
Il n’aimait pas la solitude
Devant le verre qui pétille
Alors pour oublier, il fermait les yeux
En portant le verre à la bouche
Intérieurement, il alimentait tout un flux de pensées
Qui l’enrobaient tout entier
Dans son délire presque éthylique.

mercredi 23 mars 2011

Numérologue improvisé





Dans la galerie marchande
Atours tapageurs
Il m’avait fait le coup des cartes
des chiffres,
des lettres écrites en tout petits (vilains) caractères
et qui l’assumaient sereinement.

Il avait sorti de ses poches
format extensible
tout son attirail magique
des hiéroglyphes
qu’à travers ses mots
il rendait lisibles ou presque.

Ça changeait des colombes
Des lapins
Des foulards
Mais ça volait
Aussi rapide
Avec un effluve
d’entourloupe.

Il observait l’auditoire sceptique
Par-dessus ses verres de presbyte
Et ânnonait des phrases-type
Bizarres
Sorties de quelque grimoire
Poussiéreux

Il disait qu’il avait compulsé
Plein de livres sur cette science obscure
Qu’il les avait synthétisés
En avait tiré le meilleur
Les avait rendus accessibles au commun des mortels

Il trouvait réponse à tout vent contraire
Retournait les arguments comme des crêpes
prêtes à être enfilées

Il décrivait
l’action
le mystère
l’enthousiasme
l’aventure surtout
l’inadéquation de mon couple à mes attentes ou
l’osmose parfaite de ma jeune voisine avec
son amoureux
La fin tragique
Ou les pulsions meurtrières
De quelque autre présent

Je riais
Je savais tout ça

Les numéros qui parlent
Ne pouvaient pas changer
La face d’un monde
Moi seul le pouvait …

samedi 19 mars 2011







De longues traînées laiteuses caressaient les herbes,
s’insinuaient dans l’âme
entre les bras infiltrés des arbres,
atones.

mardi 15 mars 2011

Fossette tienne





Quand tu souriais au loin
J’imaginais
Carrefour de ta bouche en cœur
Cette fossette tienne
Aperçue au seuil du
Crépuscule
Sous les réverbères juste
Éveillés

Les pavés gris
Irradiaient mille lucioles
Reminiscences pluviales
Ou crépitement de nos yeux
Tes mots éclatants
Battant rythme

Ce grand soir
Historique en nos cœurs
S’est éteint
J’ai cru en d’autres
À renaître
Que l’avenir aussi
Tracerait convergence

Mais ta fossette
Avec ton sourire
Furtives siamoises
S’étaient évaporés

Tes mots éclatants
Éclatèrent
En mille débris
Épars
Je perdis le fil ténu
De tes traits
Cette douce habitude
T’attendre
T’entendre
T’apprivoiser

mercredi 9 mars 2011

Jean-Pierre




Jean-Pierre, hâbleur, voulait faire rire les filles.
Le teint déjà rougeaud annonçait les prémisses d’un futur tempérament sanguin.
Des bajoues accentuaient son côté chérubin bientôt déchu.

C’était le cousin de ma copine, cousin germain ou un peu moins ...elle aimait compliquer les explications généalogiques !
Ils se ressemblaient si peu que je me demandais de quelle branche il était descendu…

Dans la cour de la ferme, il venait plus souvent depuis que je fréquentais l’endroit.
Il faisait des blagues de quat’sous.
Oui, nous riions, pas des blagues. Mais de lui. De ses efforts maladroits pour passer à l’avant-plan.

Un jour, il attrapa une souris (je ne le croyais pas si agile !) et par la queue vint l’agiter sous nos yeux – toutes les filles, c’est connu, ont peur des souris ! -

Alors qu’il guettait notre réaction, le rongeur se retourna et lui mordit la main.
C’est un petit enfant qui hurla.
Tandis que nous nous esclaffions de ses piètres exploits.

jeudi 3 mars 2011

Danser




On dansait
Comme des malades
Tous les soirs
Jusqu’à la nuit ancrée
La notice dans les yeux
Le recul du temps

Jusqu’à épuisement
Jusqu’au couvre-feu
Qui couvrait nos sueurs

On avait pour modèles ces couples en papier
Glacé
Glisser sur les parquets lisses
Mus par les talons
haut
Si haut et pourtant sans vertige
Hormis la torpeur
De la musique

Et on s’endormait au son des tempos
Jusqu’à l’aube
Que lancinait
l’écho.