mardi 18 mai 2010

Gare




Dans cette gare aux piliers arrogants comme des colonnes d’église, je me confondais avec la grisaille.
Je regardais passer les trains dans leur fulgurance.

Parfois, j’imaginais t’apercevoir à la fenêtre, en grande conversation avec de gentes dames.

C’est drôle, à l’époque où l’on se fréquentait, jamais, tu ne m'avais donné l’impression d’être un séducteur.
Un baratineur, certes, enjoué. Tu me faisais tellement rire.

Une fois, une seule, on a pris le train ensemble, c’était un soir d’automne et il faisait beau dans cet entre jour et nuit.

Oh un trajet très court, une heure voire une heure et demie, encore écourté par la sensation de légèreté et de bonheur qui avait imprégné ce moment rare. Je n’avais rien vu du paysage, que le gris de tes yeux, rien entendu de la ville que le timbre coloré de ta voix.

Tu m’envoyais chaque jour des petits mots griffonnés à la hâte sur des papiers chiffonnés. Je les ai tous gardés, dans une boîte à chaussures. Il paraît que les boîtes à chaussures gardent bien emmitouflées les pensées terre à terre. J’ai parfois soulevé le couvercle mais les mots avaient cessé de me parler, perdu leur force évocatrice : ce n’étaient plus que des hiéroglyphes, incongrus, anachroniques.

Depuis ce jour où tu claquas violemment la porte comme on fait tomber le couperet
d’une guillotine avec non-option de remonter le temps. Il paraît qu’avant de passer au geste fatal, tu m’avais tout expliqué en long et en large les raisons de ton brusque revirement « ça vaut mieux … » « trop de différences » …
C’étaient des mots de lassitude, de jeter après usage, si courants dans une société de vite tout à l’égout. Je n’avais rien compris.
Tout comme au début, je n’avais pas compris cet engouement réciproque pour nos conversations hors du temps.

Dans cette gare où je reste en stand-bye, oh, pas après toi – je ne manque pas de lucidité à ce point -, les têtes coupées avec véhémence ne se recollent pas.

8 commentaires:

  1. Cliquer sur "Lire et délires".
    Aussitôt fait aussitôt magique : comme sortie d'un grand chapeau noir, votre page avec et les mots et les illustrations !
    Tout est devenu (presque) luxe, calme et volupté depuis que vous avez jeté skynet aux oubliette
    ...

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  2. Moi aussi, comme Jea, j'ai suivi la route, pour me retrouver dans les mots qui parlent, annoncés par la photo. Je reviendrai.
    Je vais suivre votre exemple, trouver une photo qui parle et dialoguer avec elle. Vous permettez ? ( et bravo pour votre texte sur les 1000 mots )

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  3. Cette boîte à chaussures, qu'en as-tu fait? Tu l'as gardée? comme relique d'un passé maintenant indéchiffrable? Ces hommes, ils nous expliquent toujours tout, paraît-il, et il paraît que nous n'y comprenons jamais rien...
    Les salauds! Ce que nous les aimons, ces salauds... (pardon! je me lâche!)

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  4. La salle des pas perdus et des mots qui se retrouvent dans une boîte à chaussures, pourtant ce n'est pas un roman de gare :-)

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  5. les gares sont des lieux de transition : on y regarde les gens de passage :)

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  6. @ JEA
    Je me demande combien de temps dure la magie des tours ! Mais les oubliettes de skynet ont encore vue sur la mer et je n'abandonne pas le navire!

    @ Mary
    Il paraît que tous les chemins mènent à ...bon, n'exagérons pas, merci d'avoir pris cette route et d'être arrivée jusqu'à moi. Les photos me parlent beaucoup, c'est vrai, au moment où je les prends et puis elles mûrissent dans ma tête lorsque je les revois, c'est une source d'inspiration quasi inépuisable ...

    @ Marcelle
    Ah, les romans de gare pour ne pas faire des pas perdus des moments qui le soient aussi !

    @ Aléna
    Si tu savais combien de boites à chaussures sommeillent dans mon coeur, enfin, j'extrapole.
    Avec les hommes, c'est toujours un épisode de la tour de Babel !

    @ Murièle
    De regardés à regardés, parfois des regards s'accrochent comme les wagons...

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  7. Basé sur une histoire - ou une photo - vraie?
    J'aime bien.

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  8. @ Eric
    Une histoire inventée en tissant quelques fils collectés ci et là, et j'ai cherché une photo ad-hoc dans mes "archives". Merci.

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