dimanche 30 mai 2010

Scène de café (1)



Je l’imagine avec sa grande gueule et ses airs de noblesse usant malhonnêtement de la particule dorée.

Elle se tient comme un homme, un peu décentrée, la cigarette au bec, les yeux de biche fraîchement redessinés.
La fumée voile ses dents jaunes, la nicotine a la dent dure et en admiratrice de Sand et de Balzac, elle la pratique avec le café.
Dame, il faut bien s’inspirer des grands.

Elle note au gré des lectures tout ce qu’elle n’a pas lu, qu’elle doit absolument avoir lu pour être le page à la page. Prend des notes qu’elle ressortira, fumantes, quand l’occasion se présentera de les intégrer au discours ambiant.

Elle me regarde méchamment. Elle pense que j’attends quelqu’un, le même qu’elle, quelqu’un qui lui appartient et qu’elle défendra bec et ongles contre les furies rôdant autour. Toute femme pour elle est une usurpatrice potentielle.

Mais on ne peut s’aliéner la moitié de la population du globe. Alors faire contre mauvaise fortune, bon cœur, même s’il faut y rajouter quelques gouttes d'huile essentielle d’hypocrisie habilement ajustées.
Se faire des alliées, pas trop brillantes pour qu’elle puisse garder le dessus, dociles pour qu’elles l’enrobent de leur miel et sabrer immédiatement dans ce qui est déplaisant, l’écarter, le mettre en quarantaine avec autorité et condescendance

Il est arrivé, un sourire au bras, un livre dans l’autre, l’a reconnue tout de suite, il sait d’expérience qu’elle s’installe là où la lumière la met en valeur, l’a embrassée furtivement en regardant autour. Il est marié et tient à sa tranquillité conjugale.
Il tourne nerveusement son alliance, tic qui le démange quand il se prend en défaut.
Il m’a jeté un coup d’œil rapide, en faisant semblant de ne pas s’attarder mais je l’ai senti : il désapprouvait mon regard, je dois lui rappeler quelqu’un à qui un jour il a distillé ses boniments.
Puis ils ont parlé, elle, à voix haute, lui à voix basse. Elle rit aux éclats, ce doit être un comique …à moins qu’elle se moque de lui, elle qui adore donner des coups de griffe et choquer.
J’entends son langage, à elle, pas très stylé, des gros mots, des onomatopées tonitruantes.
Sans doute garde-t-elle ses talents d’oratrice pour l’écriture.

6 commentaires:

  1. J'aime beaucoup les cafés pour ça : ces instantanés de vie offerts sur un plateau

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  2. ses talents d'oratriste pour l'écripure...

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  3. Je plussoie pour cette derrière phrase spécialement bien choisie. :)

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  4. Je pense à George Sand ! Belle photo et beau texte.

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  5. @ Mu LM
    Chez vous aussi, on s'attarde dans les cafés !

    @ L..........................uC
    mais qui ne tranche pas définitivement ...il y a une suite !

    @ JEA
    Ses palans d'aura triste pour l'écrit pur à châtier !

    @ Les Héphémères
    Plus soyons en choeur alors ! Merci

    @ Marcel
    Merci beaucoup en espérant que la suite te plaira (c'est pas un thriller!)

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